22 avril 2024

CET HIVER AUQUEL ON VOUDRAIT SE SOUSTRAIRE

"Le sourire d'un hiver" est à l'affiche du Poche Ruelle jusqu'au 25 mai. Jean-Marie Meshaka a donné la parole aux aînés oubliés et remis sur scène une vieille connaissance, Auguste Vonville. 





En 2011, Jean-Marie Meshaka jouait "Gueules d'automne", pièce qu'il avait écrite à la troisième saison de sa vie, regardant dans le rétroviseur son existence partagée entre deux cultures, orientale et occidentale. 13 ans plus tard, l'âme du Théâtre de Poche Ruelle a atteint un âge que beaucoup n'auront pas et l'âge moyen d'entrée en EHPAD. Une institution dont il ne faut surtout pas parler à Jean-Marie. C'est pourtant là qu'il nous mène dans sa dernière production. 

"Le sourire d'un hiver" a été écrit en neuf mois. Après trois mois de répétition intensive, les douze comédiens ont pu affronter le public du théâtre - cocon au cœur de Mulhouse. Dans cette pièce qui interpelle et donne à réfléchir, la distribution est quasiment en scène de bout en bout. 

Une musique lancinante prépare le spectateur, au pas des résidents des Tournesols, une de ces maisons où la société occidentale place ses aînés dont elle ne peut/veut plus s'occuper. "Ici on aime les vieux à distance" constate l'auteur. Jean-Marie Meshaka a écrit et mis en scène cette pièce drôle, forte et émouvante dans laquelle chacun pourra se reconnaître. Il parle à travers ses personnages et son premier prête-voix est Yves Geiger alias SpaceX. Aux Tournesols, une fronde vient de se lever contre le train-train abrutissant des derniers jours, entre chorale, tisane et pilules. Les âges sont avancés mais pas toujours, pourtant le cœur reste ardent. Et dans une rébellion, il faut un meneur. SpaceX donc,  qui va réveiller la boutique et les mécaniques à partir d'un projet inouï : monter un Roméo et Juliette théâtral. A 82 ans, le pensionnaire a gardé l'œil vif et la répartie intacte. Avec son physique de Léo Ferré, il en impose à sa troupe de bras cassés par le temps mais on pourrait craindre le pire à l'irruption de la directrice, qui se laissera convaincre par le sursaut de cette communauté qui réactualise jusqu'à ses prénoms. Timéo, Kévin, Jade, Chloé  remisent à l'état civil du siècle dernier les Marcel, Cunégonde et Germaine… Bien sûr, les résidents ne seront pas en capacité de sortir du Shakespeare mais toucheront à une courte aventure théâtrale. A ce stade Jean-Marie Meshaka fait entendre une autre voix, celle du dramaturge. 
Lui qui brûle les planches haut-rhinoises depuis bientôt soixante ans nous apprend à jouer. "Faire du bon théâtre n'est pas faire du théâtre" par exemple. Aller creuser le "sous-texte" pour ne pas se contenter d'égrener son texte. Les jeux de mots fusent, l'auteur s'amuse. 
La troupe des Tournesols en oubliera un instant l'hiver de sa vie en riant d'une tragédie. Mais avertie de longue date que le ridicule ne tue pas. 

La fille de SpaceX, si distante de prime abord, aura assisté à la représentation. Comme le public du Poche Ruelle, pris à témoin, peut-être l'œil en eau. Et maintenant que le jeu est consommé, les pensionnaires vont retourner à leurs occupations du "couloir de la mort". Au soir de leur vie, ils auront connu leur minute de gloire et fait un saut dans le(ur) passé. Etre diminué par la vieillesse n'empêche pas de continuer de goûter aux saveurs de l'existence. Jean-Marie aura pris soin de ne pas forcer les traits de ses comédiens sur lesquels la nuit est tombée avec le final Blowin in the Wind de Bob Dylan.  "Combien faut-il de morts pour que l'homme comprenne Que beaucoup trop de gens sont morts? " 

Même les Tournesols  fanent. 

 

 www.theatre-poche-ruelle.fr 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire