17 février 2021

FRINA WITTENHEIM : DU FIL MOUSSE A RETORDRE

 


La Tunisie a connu la Révolution du Jasmin. A Wittenheim, rue du Jasmin, les salariés de Frina Mousse France sont en lutte aussi, avec dignité. Pour sauver leur entreprise.


Frina Mousse occupe un bâtiment de 11.000 m2 à l'entrée de la commune. Elle a débuté son activité en 1963 à Village-Neuf. Dix ans plus tard, elle s'installait dans la commune du Bassin potassique. Mais l'entreprise ne fêtera peut-être pas ses 60 ans. 
Car le 25 janvier, le gérant suisse, dont la présence serait rare sur le site, a fait une apparition pour annoncer la mauvaise nouvelle. Fermeture de l'unité et suppression des 20 postes. 

L'entreprise de Wittenheim est spécialisée dans l'éponge mais s'est diversifiée dans la transformation de la mousse dans divers domaines comme l'acoustique, la filtration de l'air et de l'eau, l'étanchéité. Elle s'est imposée sur le marché des mousses polyuréthane avec des donneurs d'ordre comme Mahle, Electrolux, Fondis et le carnet de commandes est plein. Cela n'empêche pas de l'avoir laissée sur le carreau lors du rachat de son groupe Foampartner par le Belge Recticel. Le premier a été cédé par la holding Conzzeta pour 270 MCHF environ. C'est lui que le personnel local met en cause, qui n'a pas réalisé d'investissements, recherché de nouveaux clients, voire un repreneur. Surtout, c'est la méthode qui a assommé les salariés. Une communication par voie électronique et des propositions "minimalistes" quand la plupart des collaborateurs ont plus de 15 ans d'ancienneté. Outre bien sûr le dirigeant peu visible. 


                                        

                                                            Photo Ville de Wittenheim 


Ce 16 février, le personnel a haussé le ton, après la visite d'Antoine Homé et de son adjointe à l'économie Anne-Catherine Lutolf-Camorali, qui ont rejoint les syndicalistes de la CGT du Bassin potassique. Chez Frina Mousse, il n'y a pas de syndicat, mais la CGT soutient le juste combat. Se battre est dans les gènes du pays minier, commente le maire, car ici on est tous issus du monde ouvrier. Antoine Homé raconte "être tombé de son caddie" en faisant les courses, lorsqu'il a eu vent de ce qu'il se tramait rue du Jasmin. Dès lors, l'élu M2A a convoqué le gérant en mairie et activé les réseaux, de la communauté d'agglomération à la Région en passant par la CeA et la DIRECCTE. "C'est inadmissible sur le plan humain comme sur le plan industriel" gronde le maire, soucieux de rétablir le dialogue et de  trouver une solution permettant la sauvegarde de l'outil, du savoir-faire et des emplois. Pas question de laisser mourir une PMI par diktat du capitalisme financier. 



A l'issue de cette rencontre avec les élus locaux et la CGT, les salariés de Frina Mousse  ont symboliquement cadenassé l'entrée de leur usine. Plus personne ne rentre. Eux continueront de produire, sans bruit, consciencieusement, ils ont de quoi tenir et constituer "un butin de guerre", jusqu'à l'ouverture de négociations. Dehors, trois pendus en mousse balancent aux mâts, tandis que des t-shirts gris sont accrochés aux murs, portant les prénoms de ceux qui ont fait la richesse de Frina sans se faire mousser. 




15 février 2021

UN SCHANKALA CHEZ JEANNETTE

 

#boulangeriewidemann



Mulhouse ne verra pas encore son carnaval cet hiver. Pourtant, rue du Manège, dans le vieux quartier Fonderie, masques, chapeaux et confetti colorent la vitrine de la boulangerie artisanale. Elle devait être animée naguère, cette Gràstigàs, comme en témoignent les commerces éteints, dont la proche boucherie-charcuterie et à peine plus loin la boulangerie Scherrer. Depuis 1923, heureusement, la maison Wittmann-Brand étincelle au bout de la rue, côté ancienne cathédrale SACM. En poussant la porte du 35, je me retrouve chez un boulanger traditionnel. A l’accueil dynamique, la charmante lodie que l’on croit connaître depuis longtemps. J’ai rendez-vous avec la patronne, qui quitte momentanément le fournil pour me chercher. Elle m’y présente Roland, son chef boulanger, à la confection de baguettes. Sans lui, l’établissement n’existerait peut-être plus. Le gaillard totalise 46 années de pratique mais se sent comme un quadra. Pas de retraite en vue pour ce forçat de la farine au travail depuis hier soir. Justement, son aide est en arrêt, il faut donc mettre les bouchées doubles. Mais Jeannette met la main à la pâte aussi.




C’est la fille du fondateur, Jean-Louis Widemann, qui perpétue avec Roland un savoir-faire et une signature familiaux. Jeannette est venue sur le tard à la fabrication du pain. Elle était d’abord vendeuse.
Le temps du carnaval donc, sans la liesse, mais avec les spécialités boulangères. Scharwa, schankala, fàsanàchtskiechla. Les beignets sont fourrés à la framboise, au Nutella°, à la crème pâtissière, à l’abricot, à la pomme. Chacun y trouvera son goût. Je suis étonné par la taille des cuisses de dames, mais le schankala à la noisette peut se consommer le lendemain, ou se partager. Je n’ai pas eu le temps de le goûter, ma stagiaire l’a fait disparaître… Les petits pains sont de bonne taille aussi. C’est qu’il est généreux Roland.





En vitrine sont accrochés par ailleurs des moules. Le kougelhopf est une spécialité de la maison. Jeannette s’occupe davantage de la restauration à emporter ou à livrer. Mais avec la crise sanitaire, le proche campus Fonderie s’est vidé et le télétravail a fait le vide. Heureusement, la clientèle habituelle est au rendez-vous, qui n’est pas exclusive au quartier.

Après les gourmandises de carnaval, Jeannette et ses boulangers prépareront les gâteaux de Pâques. Avec une vitrine réactualisée.





5 février 2021

NOTRE DERNIER BAL

 










C’est un samedi soir de l’hiver. Nous avons dîné rapidement pour aller au bal. Dans le Sundgau, les Fêtes passées, le carnaval prend le relais. Jusqu’à une période récente, je ne ratais pas le bal de Carspach sous le chapiteau dressé sur la place à l’entrée de la commune. Bal des veuves le vendredi, bal carnavalesque le samedi. J’y avais rencontré la dame à la trottinette. C’est aussi Riespach, sous chapiteau encore, où Rino et sa chanteuse avaient assuré une ambiance comme un orchestre. Et ce soir, je t’emmène à Jettingen mon amour. Combien de fois suis-je venu dans l’espérance de t’y faire tourner un jour ? Une douzaine de kilomètres séparent le village d’Altkirch, mais quand nous approchons de la salle des fêtes, la route est bordée de voitures et le parking complet.
Qu’importe. Nous sommes venus guincher. Il ne fait pas froid. Heureusement, car il faut faire la queue devant la structure temporaire d’où s’échappe la musique. Il va être 21 heures. Le public est essentiellement jeune, des adolescents, de jeunes gens, des amis, des couples. Certains sont costumés. La caisse est tenue par les sapeurs-pompiers, organisateurs du carnaval de Jettingen. Certains visages me sont familiers. Rouflaquettes, cheveux blancs, air bonhomme… On est entre de bonnes mains ici. La sécurité est assurée par un prestataire. Quand nous entrons dans la salle, les tables sont occupées. Il nous faut aller au fond, derrière les musiciens, pour tenter de nous poser.





Energy a déjà chauffé le plancher. Tu vas prendre une coupe de crémant. Je reste à l’eau comme beaucoup de seniors.
Si d’aventure il fallait se dépenser sur des rythmes dingues. Je te contemple. Tu es belle. Je remarque un vieux couple emporté par la valse lente. Bientôt le répertoire va rajeunir. Je ne sais pas danser. Du reste, ce n’est pas ma raison d’être là. J’aime juste cette atmosphère incomparable du bal sous chapiteau, comme nos parents ont pu la connaître. A Jettingen, l’installation est moderne mais habillée. Le parquet souffre mais ne rompt pas.




Les lustres s’éteignent, la série de slows commence. Je t’invite et nous nous enfonçons dans la marée parmi les amoureux, les danseurs de bal et les fêtards. A cet instant, il n’est plus que toi et moi sous les lumières tamisées, mon visage dans tes cheveux. Un éclair de félicité. Je te serre contre moi, toi que j’attendais depuis toutes ces années.

Bientôt la piste sera trop petite pour la foule enivrée par les refrains attendus. L’heure a tourné. Nous nous éclipsons comme nous sommes venus.
C’était notre dernier bal de carnaval.