6 août 2017

A LA TABLE DE CAMILLE / AGAPES EN PERIGORD




Ce devait être l'été 1979. Mes parents, ma sœur et moi, puis Jean et Denise, les amis de mon père, à la découverte du Périgord. Le premier voyage en Dordogne, nous l'avons fait en train. Nous partîmes de Mulhouse dans la nuit, je me souviens encore du ronronnement des installations électriques de la "cantine" de papa. Nous avions atteint le terminus en gare de Soubie, sur la ligne Périgueux - Coutras. C'était l'automne de mes 13 ans. L'année où j'allais faire une rencontre marquante pour ma vie, Camille Bonneau. Début d'une amitié de près de 30 ans.

Camille a peu changé au fil du temps. Les traits ont juste été plus prononcés. Les sillons de l'âge. Jeune, il aurait dû prendre épouse, il est resté célibataire. Il aurait dû être homme d'Eglise, il aura été d'une inconditionnelle piété toute sa vie. Sa boussole, c'était sa maman, que je ne connaissais que par ses confessions et les images. Une dame d'une grande bonté manifestement, qui a rejailli naturellement sur le fils. Camille a fait carrière dans l'hôtellerie - restauration, avant de se convertir en commercial dans les vins de Bordeaux. 

Je l'ai connu en chemise blanche impeccablement repassée sur short beige et dans son costume dominical, tiré à quatre épingles. Camille avait la classe du Français de naguère. Il habitait une petite maison blanche bordant l'avenue Cyrano, à Villefranche-de-Lonchat, ancienne bastide au croisement des routes, à quelques kilomètres de la Gironde. Il la partageait avec un chat de race commune mais qu'il servait comme un prince. 



Camille m'a initié au savoir - recevoir à la française. Avant d'être happé par la radio, j'étais déjà sur la même longueur d'ondes que cet homme jamais rassasié de culture, hostile à la lucarne et passionné de ce que le monde offre de meilleur. Justement.
Après avoir franchi la porte surprotégée de sa modeste demeure, nous avions le privilège, chaque fois que nos vacances nous conduiraient dans le Sud-Ouest, d'être invités à un déjeuner comme on n'en fait plus. Tantôt sur la terrasse, tantôt en contrebas dans le jardin, sinon dans l'intimité de sa salle à manger. Il y faisait frais. Mes narines ont gardé en mémoire le parfum de cette pièce emplie de paix, le temps étant marqué par une horloge.
Camille recevait comme le restaurant de haute cuisine. Argenterie et cristal étaient de sortie sur nappes brodées et serviettes assorties. Le papier lui était insupportable à l'heure du service.


26 août 1992. Dans deux jours, il nous faudra quitter ce Périgord qui me manque déjà. Camille nous accueille pour un nouveau voyage culinaire. Le couloir diffuse un appétissant fumet de viande rouge mêlé de senteurs provençales. L'horloge, imposante locataire, veille toujours au temps qui fuit. La table ovale en merisier voit s'asseoir un à un les convives, après le doyen Roger Grand, qui fait montre d'une sagesse qui l'honore malgré sa presque - cécité. Les coupes de verre taillé valsent sur l'air du kir royal en ouverture des festivités, précédant le ballet de généreux melons emplis de porto. Avec le souvenir de notre récente escapade à Lacanau - Océan, je m'apprête ensuite à une nouvelle assiette de moules marinées aux herbes aromatiques. Une écume de large s'empare dès lors de moi, cependant que le ban vinique est ouvert, avec à ma seule disposition, un bergerac sec vieilli, dont la bouteille fera long feu. Mer et terre, couple vedette de la Gironde, s'invitent à la table villefranchoise. Camille nous sert le traditionnel gigot d'agneau, passé au four sous l’œil expert de mon cuisinier de père. Salade et fromage clôtureront la procession avant la séquence finale. Chaque année, il nous est donné de déguster une œuvre pâtissière commandée aux meilleures enseignes de Montpon-Ménestérol. Ce sera aujourd'hui une merveille croustillante tapissée de pruneaux et arrosée d'un sainte-croix-du-mont. Pour le café, c'est encore un sans - faute, le maître de maison étant particulièrement pointilleux sur le petit noir. A ce stade, il me faut encore agréer un digestif de la collection personnelle de Camille, avant d'envoyer les bulles de la Champagne. Les heures ont passé. Mais jamais je n'oublierai ces festins.

... 





Camille s'est endormi voilà quelques années. Il est allé rejoindre sa chère maman dans le caveau du cimetière de Villefranche, sous le généreux soleil de l'Atlantique.
On me fait souvent reproche de mettre les petits plats dans les grands quand à mon tour je reçois. Camille y est probablement pour quelque chose. Recevoir est un savoir.
Merci infiniment, Monsieur Bonneau.


03 Septembre 1992
06 août 2017

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