28 avril 2024

LA DAME DU CREUSOT

Saône & Loire 

Bourgogne du Sud



Au chevet d'une puissante  locomotive vapeur qui fait la fierté de son berceau




Le Creusot, terminus de mon court voyage de presse autour de l'histoire industrielle locale en ce mois d'avril froid. Je descends dans la gare rose entretenue mais sans croiser le moindre cheminot. Une voiture quitte le parking en dégageant un nuage malodorant. Je ne verrai pas cependant le panache de la 241 P 17, qui s'est assoupie dans son hangar attenant à la gare du Creusot Ville. J'arrive le lendemain de la mise en chauffe de la locomotive. 

Nous avons rendez-vous avec Serge Chevalier, président des Chemins de Fer du Creusot, dans le bâtiment de l'association. L'ancien ouvrier électricien a eu une longue carrière d'élu municipal et départemental. Sans la volonté de sa municipalité d'ailleurs, les CFC et leur patrimoine exceptionnels ne seraient probablement pas. 

Dans les années 1970, Mulhouse montait son musée du chemin de fer, visité en 1982 par le président Mitterrand. A cette époque, une petite section de modélistes ferroviaires allait décider au Creusot de réhabiliter le Tacot des Crouillottes, au voisinage du centre-ville. Autrefois, ce petit train évacuait les scories des hauts fourneaux. Aujourd'hui, les CFC revendiquent un des plus longs chemins de fer touristiques à voie étroite, sur deux circuits, les Combes et les deux vallées. La voie a été entièrement refaite sur des kilomètres par des passionnés que la crise de la sidérurgie avait prématurément renvoyés dans leurs foyers. Comme on peut le voir dans le proche musée de l'homme et et de l'industrie, les travailleurs des forges étaient à leurs heures perdues d'excellents maquettistes aussi. 


Serge Chevalier 


Les CFC ont non seulement préservé du matériel ferroviaire, mais encore créé un parc d'attractions familial toujours au voisinage du cœur de ville, Le Parc des Combes. La thématique du train est naturellement présente, avec sa propre gare, mais ce site accessible gratuitement (les manèges sont payants) est un terrain de jeu apprécié des Creusotins. Une vingtaine d'activités sont proposées dans cette fête foraine à demeure. Outre la diversité des attractions, de la luge sur rail aux nacelles des Toucans, on apprécie le dénivelé de ce parc dont le totem Canad'R domine un superbe panorama sur les monts du Beaujolais et du Morvan. Le Parc des Combes, établi sur du foncier municipal, est géré par l'association et attire annuellement quelque 250.000 visiteurs sur une quarantaine d'hectares. Comme le Train Thur Doller en Alsace, les CFC enrichissent leur saison d'événements, dont les Trains d'Halloween et de Noël. Le 19 mai, les voitures anciennes seront leurs hôtes. 


Mais l'association est surtout fière de montrer sa pièce maîtresse, cette 241 P 17 qui va reprendre la route ce week-end. Longue comme trois cars, voici la raison de mon voyage en Bourgogne du Sud aujourd'hui. Une vaillante septuagénaire à laquelle des hommes avaient donné une seconde vie. Au Creusot plus qu'ailleurs, la relation au chemin de fer est forte. Cette ville - industrie accompagne la vie du rail depuis plus de 150 ans. On y construit toujours du matériel roulant. La 241 P 17 est sortie des ateliers le 10 mai 1950. Schneider a produit la plus puissante des locomotives à vapeur françaises à une trentaine d'exemplaires après la guerre. Quatre ont échappé à la déconstruction, dont celle des CFC. Mulhouse possède la 241 P 16 au patrimoine SNCF. Après une vingtaine d'années de service, la machine avait été acquise par la Ville du Creusot. Elle aurait pu finir statiquement sur un rond-point, comme la motrice du TGV 001 dédiée aux Alsthommes surplombe l'A36 à Belfort. 
On lui avait alors trouvé un toit et en 1993, un long chantier de restauration commençait. Une douzaine d'années plus tard, la bête d'acier était de nouveau d'aplomb, dans sa livrée verte. Serge Chevalier estime que cette remise en état aura coûté plus de 100.000 €. "Tout se fabriquait ici" se souvient l'ancien de Schneider, mais la chaudière avait été conçue à Chalon, le "Petit Creusot". 





Maintenant qu'on a fait connaissance avec ce monstre de plus de 200 tonnes capable d'emmener une quinzaine de voitures et développant 4000 CV, il faut monter dans la cabine. Serge la connaît trop bien, lui qui est chauffeur, celui qui alimente le foyer. Le tender emporte 11 tonnes de charbon de Colombie, qui a l'avantage de monter très vite en température. Et surtout 34.000 litres d'eau. La machine consomme beaucoup, il faut veiller à l'alimenter en permanence. En attendant, c'est l'odeur de l'huile qui parvient à ma narine. A la conduite, 3 membres de l'association sont habilités à déplacer cette locomotive, formés par SNCF et chaque voyage s'effectue avec un cadre traction de l'entreprise. Chaque sortie sur le réseau national est d'ailleurs un parcours du combattant, compte tenu de la pyramide administrative. Serge se souvient combien il a été facile de se transporter en Suisse. Mais en France…


En 2024, les CFC organisent une demi-douzaine de sorties à bord de vieilles voitures tirées par le monument historique. Les 14 et 15 septembre par exemple, ce sera Mulhouse avec l'incontournable Cité du Train et son dîner de gala. A l'heure où Serge nous raconte la 241 P 17, d'autres bénévoles apprêtent la rame. Les voitures sont d'un autre temps. Elles n'ont, à mon sens rien à envier aux modules d'un TGV.













L'association les bichonne, renouvelle  les sièges et rafraîchit la peinture. Les compartiments sont spacieux, intimistes parfois. Au siècle dernier, on ne pouvait faire autrement que d'engager ou partager la discussion dans ces presque huis clos roulants. Beaucoup empruntent ces rames par nostalgie peut-être, mais surtout pour changer d'ère. A bord d'un train vapeur, il faut savoir patienter. Et oublier son appareil connecté. 





Les Chemins de Fer du Creusot 71200 LE CREUSOT    Tél 06 51 81 28 41

www.parcdescombes.com

www.route71.fr

22 avril 2024

CET HIVER AUQUEL ON VOUDRAIT SE SOUSTRAIRE

"Le sourire d'un hiver" est à l'affiche du Poche Ruelle jusqu'au 25 mai. Jean-Marie Meshaka a donné la parole aux aînés oubliés et remis sur scène une vieille connaissance, Auguste Vonville. 





En 2011, Jean-Marie Meshaka jouait "Gueules d'automne", pièce qu'il avait écrite à la troisième saison de sa vie, regardant dans le rétroviseur son existence partagée entre deux cultures, orientale et occidentale. 13 ans plus tard, l'âme du Théâtre de Poche Ruelle a atteint un âge que beaucoup n'auront pas et l'âge moyen d'entrée en EHPAD. Une institution dont il ne faut surtout pas parler à Jean-Marie. C'est pourtant là qu'il nous mène dans sa dernière production. 

"Le sourire d'un hiver" a été écrit en neuf mois. Après trois mois de répétition intensive, les douze comédiens ont pu affronter le public du théâtre - cocon au cœur de Mulhouse. Dans cette pièce qui interpelle et donne à réfléchir, la distribution est quasiment en scène de bout en bout. 

Une musique lancinante prépare le spectateur, au pas des résidents des Tournesols, une de ces maisons où la société occidentale place ses aînés dont elle ne peut/veut plus s'occuper. "Ici on aime les vieux à distance" constate l'auteur. Jean-Marie Meshaka a écrit et mis en scène cette pièce drôle, forte et émouvante dans laquelle chacun pourra se reconnaître. Il parle à travers ses personnages et son premier prête-voix est Yves Geiger alias SpaceX. Aux Tournesols, une fronde vient de se lever contre le train-train abrutissant des derniers jours, entre chorale, tisane et pilules. Les âges sont avancés mais pas toujours, pourtant le cœur reste ardent. Et dans une rébellion, il faut un meneur. SpaceX donc,  qui va réveiller la boutique et les mécaniques à partir d'un projet inouï : monter un Roméo et Juliette théâtral. A 82 ans, le pensionnaire a gardé l'œil vif et la répartie intacte. Avec son physique de Léo Ferré, il en impose à sa troupe de bras cassés par le temps mais on pourrait craindre le pire à l'irruption de la directrice, qui se laissera convaincre par le sursaut de cette communauté qui réactualise jusqu'à ses prénoms. Timéo, Kévin, Jade, Chloé  remisent à l'état civil du siècle dernier les Marcel, Cunégonde et Germaine… Bien sûr, les résidents ne seront pas en capacité de sortir du Shakespeare mais toucheront à une courte aventure théâtrale. A ce stade Jean-Marie Meshaka fait entendre une autre voix, celle du dramaturge. 
Lui qui brûle les planches haut-rhinoises depuis bientôt soixante ans nous apprend à jouer. "Faire du bon théâtre n'est pas faire du théâtre" par exemple. Aller creuser le "sous-texte" pour ne pas se contenter d'égrener son texte. Les jeux de mots fusent, l'auteur s'amuse. 
La troupe des Tournesols en oubliera un instant l'hiver de sa vie en riant d'une tragédie. Mais avertie de longue date que le ridicule ne tue pas. 

La fille de SpaceX, si distante de prime abord, aura assisté à la représentation. Comme le public du Poche Ruelle, pris à témoin, peut-être l'œil en eau. Et maintenant que le jeu est consommé, les pensionnaires vont retourner à leurs occupations du "couloir de la mort". Au soir de leur vie, ils auront connu leur minute de gloire et fait un saut dans le(ur) passé. Etre diminué par la vieillesse n'empêche pas de continuer de goûter aux saveurs de l'existence. Jean-Marie aura pris soin de ne pas forcer les traits de ses comédiens sur lesquels la nuit est tombée avec le final Blowin in the Wind de Bob Dylan.  "Combien faut-il de morts pour que l'homme comprenne Que beaucoup trop de gens sont morts? " 

Même les Tournesols  fanent. 

 

 www.theatre-poche-ruelle.fr