31 mars 2020

Le journal du confinement semaine 2



Mardi 24 mars 8e jour.

A midi, nous entrons dans la deuxième semaine de confinement en France.
Un contact téléphonique professionnel. Nina, l'attachée de presse de la Ville de Mulhouse qui me met en relation rapidement avec Paul Quin, l'adjoint à la sécurité, à ma demande, pour une interview sur le couvre-feu instauré depuis dimanche. Brunstatt-Didenheim et Zillisheim emboîteront le pas à la ville centre. 

Il faut se nourrir. Un saut à la boulangerie Marzin, où n'entre qu'un client à la fois. Fini la queue du samedi matin dans ce petit commerce. Deux vendeuses dont une avec masque, la patronne dans le fournil. Le comptoir protégé par une vitre. Ambiance de guerre. Près de chez moi aussi, le boucher. Des cagettes nous éloignent de la vitrine. Deux vendeuses, une cliente quand j'entre. L'effectif est diminué par la maladie. A cause de cela, ma petite femme met encore plus de distance entre elle et moi désormais. Parfois il vaut mieux se taire. Le corona nous isole tous, il me sépare maintenant de mon amour pour un temps qu'elle déterminera.
Ce jour j'interviewe aussi Jean-Marie Claudepierre, représentant la Fédération des marchés de France dans les Vosges. Dans les restrictions nouvelles, les marchés ouverts et couverts sont fermés sauf dérogation préfectorale. Dans le Haut-Rhin, Michèle Lutz venait de nous dire que le préfet tenait à garder le marché de Mulhouse, car site d'achats de première nécessité. En début d'après-midi, les derniers commerçants plient leurs stands. Le représentant de l'Etat dira non par ailleurs aux sollicitations du maire de Colmar. Une mauvaise nouvelle de plus, pour de petits producteurs sans débouché.

Mercredi 25 mars  9e jour

Emmanuel Macron à l'hôpital de Mulhouse.
On le rabâche,le Haut-Rhin et d'abord Mulhouse dans l’œil du cyclone Corona en France depuis ce rassemblement de Bourtzwiller. Le chef de l'Etat se rend au GHRMSA en fin d'après-midi, précisément à l'EMR sur le parking. Il porte pour la première fois un masque. Jean Rottner s'est fait excuser, souffrant de symptômes suspects. Le président de la République profite du JT de 20H pour faire son allocution. Nos radios n'ont pas été invitées à couvrir ce déplacement et ça se comprend. 

Auparavant, j'interroge mon curé largotin sur son quotidien. Le père Justin a célébré sa dernière messe avec des fidèles le 14 mars. Depuis, il n'a vu que des familles en deuil. Les prêtres catholiques sont un peu plus seuls que d'habitude. Et l'Ivoirien n'a jamais connu l'interdiction d'office même dans les heures sombres de la Côte.
Fin d'après-midi avec le réseau RTL2-Fun. Nouvelle visioconférence avec les confinés des musicales du groupe M6.

Jeudi 26 mars  10e jour

Reportage de proximité. Ce matin, je visite la boulangerie Wininger, un des commerces alimentaires artisanaux d'Altkirch. La maison fait aussi épicerie et bureau de tabac. Surtout il s'agit de suivre brièvement François dans sa tournée. Il aura fallu la crise sanitaire pour que je revoie Frantz, à peine plus âgé que moi. Je le retrouve à Aspach. Les gendarmes disposés au rond-point du cimetière ne me contrôlent ni à l'aller ni au retour. 
Vers 08H50, un appel inédit du Sud de la France, quelques jours après celui d'Anne et Gérard de Toulon. C'est Blandine ! J'ai reconnu sa voix d'entrée. Elle qui a quitté l'Alsace voilà trente ans...Le moment est mal choisi pour papoter, du reste mon ancienne collègue souhaite partager une information médicale d'un praticien varois, mais celle-ci me paraît trop technique pour être comprise. Blandine s'adresse à moi car elle cherchait "un journaliste alsacien, ses connaissances n'étant plus de ce monde". Elle-même doit au moins être sexagénaire.

Vendredi 27 mars  11e jour
Dernier jour avant les congés.
Décidément je ne fais rien comme tout le monde. J'avais posé des vacances pour la période précédant Pâques, ayant travaillé sans discontinuer depuis la mi-août. Sauf que le corona a surgi et voilà que le confinement est prolongé jusqu'au 15 avril. Au moins bis. On fera avec. Je me suis levé aux aurores comme d'habitude,j'ai vite acquis la nouvelle feuille de route quotidienne. Un appel, celui du chef comptable. En temps normal, c'est lui que les collègues appellent.
Vers 19H, j'ouvre une nouvelle fenêtre. Je suis, semble-t-il, en vacances pour deux semaines. 


Samedi 28 mars  12e jour 

Le bureau de poste d'Altkirch est fermé pour deux semaines, la boîte aux lettres relevée trois fois par semaine. 
Je fais mes courses alimentaires à Spechbach-le-Bas aux Champs de l'Ill, produits fermiers, adresse rappelée à juste titre par mon confrère Jean-Michel Hell. Le caissier est à l'abri derrière sa vitre, il désinfecte à tour de bras. Cinq clients admis au plus, la moitié porte le masque.
Je me demande d'ailleurs comment toutes ces personnes ont accès à cet équipement quand il est dirigé prioritairement vers les professionnels de santé.
Le reste de mes achats au supermarché, toujours bien approvisionné et sans cohue. Les hôtesses de caisse ont le casque lourd,ce genre de protection utilisée quand on débroussaille.

Le samedi est jour de cuisine.
J'attaque enfin le livre dédié au regretté Jean Schillinger. La crème brûlée.


Dimanche 29 mars  13e jour

Deuxième dimanche sans messe physique. Je rejoins la diffusion Facebook de St-Nicolas-du-Chardonnet. Je pense à Vincent, envoyé dans la vallée de Munster.
Le plat dominical est emprunté à un chef du même territoire. Une sauce champignons - curry. Je dois rectifier trois fois.
Beaucoup sont dans la peine et l'isolement. Heureusement, depuis sa maison, Patrick Wolfer assure le show en live sur Facebook l'après-midi. Ce dimanche, il fait hivernal. Ambiance après-ski. 
M6 consacre un reportage à la ville d'Altkirch. Mes confrères ont fait un reportage proche du mien en suivant la police municipale, désormais masquée. Ma ville a une unité Covid-19 d'une cinquantaine de lits.

Lundi 30 mars  14e jour 

Je suis officiellement en vacances.
Déconnexion temporaire de l'actualité Covid-19. Un grand chantier m'attend. Remettre en état le réseau de train miniature abandonné là-haut aux araignées et à la poussière. Comme si la guerre était passée par là.


30 mars 2020

PROMESSES EXTRAORDINAIRES










Depuis que la France et beaucoup d'autres pays sont à l'arrêt, le téléphone ne sonne quasiment plus. Avant, pas un jour qu'on ne m'appelle pour me vendre un fournisseur d'énergie, une assurance, une rénovation. Après deux semaines de confinement, nous devons nous contenter de ce que nous avons et de ce que nous pouvons encore trouver dans le commerce autorisé si nous ne passons pas par la vente en ligne. Le Covid-19 va chambouler le monde et la mondialisation. Et nos modes de consommation sûrement.

L'automne dernier, Annie Pastor publiait chez Hugo Desinge
« Merveilles vendues par correspondance » dans la série « Les Pubs que vous ne verrez plus jamais », plus de 100.000 exemplaires vendus pour chacun des 4 volumes.
En 160 pages, l'ancienne rédactrice en chef adjointe de L'Echo des Savanes nous raconte « l'art et la manière de vendre n'importe quoi à n'importe qui ». Une compilation d'annonces publicitaires invraisemblables puisées dans la presse populaire des Trente Glorieuses. L'auteure pose le contexte. La Guerre Froide. Les Etats-Unis exportent leurs produits et leur culture de consommation de masse. C'est le culte d'une société dominante, prospère, idéale et moderne, à l'inverse du bloc communiste. L'American Way of Life. « Acheter tout et n'importe quoi est possible et même un devoir moral pour la prospérité » d'un pays soumis au capitalisme triomphant. Annie Pastor s'intéresse ici à « un marché parallèle qui se développe rapidement, de produits miraculeux et étranges, de loisirs peu chers ». Ses opérateurs trouvent des espaces de communication plus accessibles dans les magazines spécialisés et la bande dessinée. Ils vont les inonder de publications sidérantes qui aujourd'hui nous feraient rire ou au contraire frissonner.
En 1941, les chewing-gums Bazooka proposent de gagner un Flexy Racer, la planche à roulettes sur laquelle on se couche. En 1968, sautillez chaussé de Space Shoes. Ou lancez-vous à plat ventre sur le Slip'n Slide, tapis à arroser pour glisser sur une dizaine de mètres. Des activités de plein air qui risquent de mal finir, soit par traumatisme, soit par brûlure. A l'intérieur, les enfants peuvent s'improviser chimistes. Une maison française vend une boîte de résines polyester qui mal mélangées avec les catalyseurs font encourir un départ de feu...
D'un très mauvais goût, inspirée de la Révolution française, Chamber of Horrors de Madame Tussaud, la réplique en plastique d'une guillotine avec une figurine bientôt décapitée. « Harmless fun ! » Avant la déferlante Halloween, une société new-yorkaise vantera ses X-ray glasses, lunettes à rayons X permettant de voir le squelette d'un vivant.



Dans ce monde d'après-guerre mondiale, il faut bien présenter, être beau, fort, cultivé, prospérer. De petites annonces promettent aux petits gabarits de grandir, de « 8 à 16 cm à tout âge ». Annie Pastor a trouvé une mine de publicités autour de la transformation physique, mincir en pétrissant avec le pétrisseur Sterling par exemple, se forger une gorge de rêve, paraître plus jeune chaque matin... Pour les hommes, changer de tête avec un postiche ou faire pousser les cheveux avec un appareil de massage infrasonique (sic). Le mâle doit rassurer. On lui prodigue le pouvoir secret du kung-fu chinois, mais la femme aussi peut se défendre en apprenant la méthode de Yubiwaza, mettre à terre son agresseur avec un seul doigt...
De nombreux domaines sont abordés dans ce recueil, de l'apprentissage des miracles dans sa vie à l'attirance de l'amour en passant par l'espionnage de son voisinage voire la sorcellerie avec le kit vaudou.
Le plus beau dans cette rétrospective richement illustrée, « c'est COMMENT on vous a vendu » ces merveilles. « La forme est encore plus forte que le fond, qui apparaît aujourd'hui aussi rétro que surréaliste, comme une forme d'art brut et primitif. » « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute », écrivait Jean de La Fontaine.

L'Action Automobile et Touristique printemps 1954


Le monde a changé ces dernières décennies. Mais il se trouve toujours une annonce dans la presse pour améliorer notre condition ou promettre le retour d'un être cher.
Maintenant, tout n'est pas bidon. Ainsi « ces Tupperware qui vous changeaient la vie » en 1973 sont toujours dans l'air du temps. Et continuent de changer la vie, parfois confortablement. Contrairement aux figurines d'étain;  le coulage de soldats proposé aux enfants par Kaster dans les années 30 a fatalement eu du plomb dans l'aile.





Merveilles vendues par correspondance
par Annie Pastor, Ed. Hugo Desinge