C’est un samedi soir de
l’hiver. Nous avons dîné rapidement pour aller au bal. Dans le
Sundgau, les Fêtes passées, le carnaval prend le relais. Jusqu’à
une période récente, je ne ratais pas le bal de Carspach sous le
chapiteau dressé sur la place à l’entrée de la commune. Bal des
veuves le vendredi, bal carnavalesque le samedi. J’y avais
rencontré la dame à la trottinette. C’est aussi Riespach, sous
chapiteau encore, où Rino et sa chanteuse avaient assuré une
ambiance comme un orchestre. Et ce soir, je t’emmène à Jettingen
mon amour. Combien de fois suis-je venu dans l’espérance de t’y
faire tourner un jour ? Une
douzaine de kilomètres séparent le village d’Altkirch, mais quand
nous approchons de la salle des fêtes, la route est bordée de
voitures et le parking complet.
Qu’importe. Nous sommes venus
guincher. Il ne fait pas froid. Heureusement, car il faut faire la
queue devant la structure temporaire d’où s’échappe la musique.
Il va être 21 heures. Le public est essentiellement jeune, des
adolescents, de jeunes gens, des amis, des couples. Certains sont
costumés. La caisse est tenue par les sapeurs-pompiers,
organisateurs du carnaval de Jettingen. Certains visages me sont
familiers. Rouflaquettes, cheveux blancs, air bonhomme… On est
entre de bonnes mains ici. La sécurité est assurée par un
prestataire. Quand nous entrons dans la salle, les tables sont
occupées. Il nous faut aller au fond, derrière les musiciens, pour
tenter de nous poser.
Energy a déjà chauffé le plancher. Tu
vas prendre une coupe de crémant. Je reste à l’eau comme beaucoup
de seniors. Si
d’aventure il fallait se dépenser sur des rythmes dingues. Je te
contemple. Tu es belle. Je remarque un vieux couple emporté par la
valse lente. Bientôt le répertoire va rajeunir. Je ne sais pas
danser. Du reste, ce n’est pas ma raison d’être là. J’aime
juste cette atmosphère incomparable du bal sous chapiteau, comme nos
parents ont pu la connaître. A Jettingen, l’installation est
moderne mais habillée. Le parquet souffre
mais ne rompt pas.
Les lustres s’éteignent, la série de slows commence. Je t’invite et nous nous enfonçons dans la marée parmi les amoureux, les danseurs de bal et les fêtards. A cet instant, il n’est plus que toi et moi sous les lumières tamisées, mon visage dans tes cheveux. Un éclair de félicité. Je te serre contre moi, toi que j’attendais depuis toutes ces années.
Bientôt
la piste sera trop petite pour la foule enivrée par les refrains
attendus. L’heure a tourné. Nous nous éclipsons comme nous sommes
venus.
C’était
notre dernier bal de carnaval.