25 novembre 2022

ALTKIRCH : STE-CATHERINE REDUITE




Il est vingt-et-une heures quand je remonte la rue du 3e Zouaves dont un tronçon est toujours dans l'obscurité. Je croise un homme avançant avec une lampe de poche. Au débouché de la rue Brûlée, je devrais trouver des cartons et d'autres emballages. Rien. Les restaurants sont vides, les exploitants sur le départ ou en train de finir, les chaises sur la table. Les bancs extérieurs pliés. C'était jour de foire aujourd'hui à Altkirch. La Ste-Catherine. Une manifestation cinq fois centenaire, plus vieille que le Christkindelsmärik de Strasbourg. Mais qui cette année s'est recroquevillée sur le pourtour du centre-ville et sa rue administrative. Depuis les attentats de Paris et la crise sanitaire, la configuration de la sortie annuelle des Sundgauviens a été durablement modifiée. Les rues de mon enfance qu'un véhicule de pompiers aurait eu du mal à remonter appartiennent bien au passé.




En arpentant la haute ville les jours précédents, je me doutais du rétrécissement du périmètre en considérant la numérotation au sol. La foire Ste-Catherine et ses 850 exposants hier en a perdu les trois quarts. Et ces emplacements vides rue de Gaulle, quand le marchand de textiles se trouvait presque isolé derrière le presbytère. Certes il pleuvait encore en début de journée, mais on savait que le soleil se montrerait un peu. 


Même la fréquentation a baissé. La mythique foire d'automne a été rétrogradée au rang de grand marché. Heureusement qu'elle a su garder sa spécificité de foire agricole, avec son offre de machinisme unique dans la région et rester un lieu d'échanges privilégiés entre les acteurs de la filière terre. Si la place Jourdain est le centre de la manifestation avec son exposition de tracteurs, on retrouve avec plaisir des connaissances et des amis au gré de sa pérégrination. Les clubs service ne sont pas les derniers à alimenter les passants, si ce n'est une association sportive. La CGT elle aussi est au rendez-vous. Il est plus facile de capter un public en promenade qu'un actif pressé rue du Sauvage. Des voitures neuves sont alignées rue Gilardoni. Autrefois, c'était rue Henner. J'étais alors en scolarité, donc en congé ce jour particulier. 





Le temps a passé. La foire s'essouffle quand la Simon et Jude de Habsheim pourtant beaucoup plus jeune s'est redynamisée avec le concours de bovins. Mais gardons-en  les meilleurs souvenirs et le plaisir de furtives rencontres dans un monde qui a oublié qu'on pouvait se parler. 



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21 novembre 2022

D'GODA OU UNE CERTAINE IDEE DU SUNDGAU

Obermorschwiller vient de diffuser à son tour D'Goda, le film "ressuscité" de Louis Schittly et Daniel Schlosser.





1975. Nino Ferrer chantait Le Sud, Joe Dassin L'été indien
A Bernwiller, village natal de Jean-Jacques Henner, des cinéastes militants tournent avec les moyens du bord et dans des conditions rocambolesques un film qui aurait pu s'éteindre 
bien plus tard  dans ses bobines oubliées dans une grange. Heureusement, Vincent Froehly, réalisateur d'origine sundgauvienne lui aussi, a sorti le long métrage de l'oubli en le numérisant avec le concours de Corentin Baeumler. Ainsi revit D'Goda  dans sa version restaurée et diffusée avec succès depuis l'été à travers l'Alsace.

A Obermorschwiller, près d'Altkirch, certains se reconnaissent dans la résistance face à l'effacement de l'âme d'un territoire.
L'ancienne caisse du Crédit Mutuel avait pris la place d'une maison alsacienne. Aujourd'hui, c'est la bibliothèque du village où souffle un petit vent d'alsacianité, se réjouit Damien Foltzer, personnalité locale. Ce 18 novembre, on invitait à une nouvelle soirée  Les Alsatiques, autour de D'Goda. Le club-house du FCO est plein. On y croise beaucoup de seniors forcément, car le film est en dialecte, avec un sous-titrage en français. Dans le public, Michel Bisey, l'ancien libraire mulhousien, qui se souvient de l'avoir visionné à sa sortie
… 

Obermorschwiller a sa place dans le film. A l'époque, Daniel Schlosser passait par la commune et elle lui a plu. On verra ainsi le cimetière, la sortie de la messe ou encore la bâtisse remplacée par une CMDP...

D'Goda est Madame Meyer. Le rôle est confié à Jeanne Ehni, la maman de René, l'écrivain et dramaturge décédé en juin dernier. Lui-même campe le curé. "La marraine" est une femme d'un certain âge à la tête d'une petite exploitation agricole. Elle prend l'autocar pour Mulhouse avec des gamins et découvre le nouveau monde, la tout jeune Tour de l'Europe, quand rue des Boulangers une affiche appelle à transmettre l'alsacien aux enfants, "Lehre d'Kender Elsassisch" dans cette France d'Alsace où le français est désormais la norme. 

D'Goda va bientôt avoir de la visite. Berri, son Albert de fils, arrive avec son Alfa Romeo et sa petite famille. Il est devenu citadin et son retour à la maison n'est pas désintéressé. Il y a des affaires à envisager en cédant du terrain en vue d'un lotissement. Mais juré, il n'obtiendra rien jusqu'au dernier souffle de sa mère. Qui avait soupçonné l'intention d'écornifler ("Schmàrutzer"). Quant aux petits-enfants, ils ne comprennent plus rien bien sûr à la langue des aïeux. 

Les personnages sont pittoresques, de l'instituteur qui trouve grâce aux yeux de Mme Meyer au curé (René-Nicolas Ehni), qui rapplique curieusement dans une Renault 15 et incarne la modernité de Vatican II. La messe tridentine appartient au passé. Et puis Sepp, le jeune homme dont la chevelure interpelle d'Goda ("Putzwullakopf"). Mais ce n'est pas la coupe qui détermine le cœur, selon la sagesse du film. 


Louis Schittly est Xandri



Propriétaire, Mme Meyer va louer son exploitation agricole contre toute attente à un jeune couple, Xandri et Michelle, qui abandonnent leur situation et leur confort de ville pour le dur labeur de la terre. Xandri interprété par Louis Schittly. Le cofondateur de Médecins Sans Frontières avait compris avant l'heure que le bonheur était dans l'odeur du regain plutôt que dans l'air conditionné. Quant au salaire alléchant, à quoi bon s'il faut le gagner la boule au ventre ? Au bistrot, le maire est tancé par ses administrés pour rebaptiser la Judagassla  (ruelle des Juifs) par une banale "rue des fleurs". 
Les invectives ne sont pas loin, les jurons non plus. D'ailleurs les Sundgauviens sont réputés "grossiers" par la bien-pensance aux ordres de Paris. 

D'Goda se vit comme une pièce de théâtre alsacien, entre défenseurs d'un patrimoine et contradicteurs, comme Don Camillo et Peppone, avec de nombreuses expressions du terroir. En cela c'est jubilatoire. Comme la tablée animée par le saltimbanque Roger Siffer. Mais le long métrage en noir et blanc est surtout une ethnographie doublée d'un message militant. Un demi-siècle après sa réalisation, D'Goda  est d'une brûlante actualité avec la transition écologique et la préservation de la terre nourricière.


Photos : captures d'écran