24 mars 2020

Le journal du confinement semaine 1




C'était dans l'air. Depuis quelques jours, il était impératif qu'on m'équipât du matériel d'enregistrement à la maison, dans la perspective d'un confinement. Lundi 16 mars fin de matinée. Mes collègues disparaissent rapidement, du moins ceux qui restent. Cependant qu'un autre vient m'installer de quoi télétravailler en début d'après-midi, je retourne au bureau. Il est quasiment 16H quand j'ouvre la porte de la radio. Il n'y a plus personne. Célia, ma stagiaire, n'aura pas fait une semaine complète. On l'a priée de partir sans qu'elle puisse me saluer. On remettra ça. Je vais m'atteler à la tâche comme chaque fin d'après-midi, préparant les journaux du soir avec un ordinateur en moins, délocalisé chez moi. Je me sens comme seul au monde dans cet immeuble silencieux au commerce endormi. Je me souviens de mon dernier jour sous les drapeaux, quand je traînais pour réintégrer mon foyer. Le soleil se couche, je considère une dernière fois ces locaux vides avant le saut dans l'inconnu. Je ne sais pas quand je reviendrai. Je ne sais pas si je vais revenir. Ce maudit fléau qui malmène la planète frappe sans qu'on ne le voie. J'ai un déchirement au cœur, comme quand je dois prendre congé de mon épouse à l'aéroport de Zurich.

Mardi 17 mars. Le chef de l'Etat s'est promu chef de guerre hier soir à la télé. Les Français vont apprendre le confinement. Après la fermeture des commerces dits « non essentiels » dimanche. Et l'arrêt brutal de la restauration. Ce matin, je n'ai pas de car à prendre. La trottinette va pouvoir se reposer sur ses deux roues un certain temps. Je me lève à 5H de fait, pour prendre mon poste à 5H45. Dans mon salon. J'appréhendais le travail à domicile. Or c'est comme si j'avais toujours produit depuis chez moi. Il faut dire que mon espace de travail est dévolu à mes blogs, il est propice à la création intellectuelle. Michaël m'a posé un traitement de son, un micro et une petite table de mixage. Les connexions sont établies avec la radio. Ma première journée de télétravail en 35 ans de métier se révélera productive et sans accroc. En fin de matinée, un dernier salut à maman avant le confinement. A 11H59, je suis sur le point de franchir ma porte d'entrée. Désormais il est interdit de sortir sans motif dûment justifié.

Jeudi 19 mars. Saint Joseph ne sera pas célébré comme il le faudrait cette année.
Nouvelle expérience pour moi : comme les locales de RTL2 sont mises en sourdine, je suis appelé comme joker de Cerise FM, une radio musicale haut-rhinoise. J'y avais déjà assuré chroniques et interviews. Un chapelet de bulletins de 6H30 à 12H30. Le travail de reporter reprend ses droits. Je me rends chez Esteban Domitin, boulanger Banette° qui m'attend rayonnant sous le soleil.
14H. Je monte en ville encore. Devant l'hôtel de ville m'attend la police municipale. C'est à la place du mis en cause que je me fais véhiculer sur deux points de contrôle, histoire de voir comment les automobilistes et piétons appliquent les consignes gouvernementales.

Vendredi 20 mars. C'est le printemps. On l'oublierait presque. Ma sortie du jour se limite à une opération poubelles. L'attestation dérogatoire de déplacement est nécessaire, même pour quarante pas. Je me trouve en mouvement sur l'espace public.

Samedi 21 mars. Jour des courses. Retour chez le boulanger. Je croise mon ancien pompiste, qui ne change pas malgré ses huit décennies au compteur mais qui ne dira rien de plus que mon nom. Tiens, voilà une autre vieille connaissance, issue de la banque. Un autre vieux monsieur qui se masque le visage et diffuse un arôme de laurier. Il est moins bavard désormais et fuit le corona. Heureusement le personnel de la boulangerie est souriant malgré la déprime ambiante. Chez mon boucher de proximité, c'est encore plus calme. Et le tabac-presse d'en face est fermé depuis mardi.

Dimanche 22 mars. 10H. Les cloches de Notre-Dame sonnent. Je ne sais pas quand a eu lieu la dernière messe dans l'église de mon enfance. Les cultes, on oublie pour le moment. Mais ça fait longtemps que mes contemporains ont oublié Dieu. Le chien de la voisine chiale.
Ce 4e dimanche de Carême est pourtant celui de la réjouissance. Le printemps réveille la nature, la lumière pascale se lèvera bientôt. Réjouissons-nous des guérisons, rappelle Mathieu, curé des paroisses de l'Eau Vive, qui propose un office en Facebook live depuis son église de Village-Neuf. Encore une expérience pour moi, privé de messe in situ. Près de 330 vues en moyenne pour cette première. Mulhouse instaure le couvre-feu à 21H.

Lundi 23 mars. 7E jour de confinement. Je me lève à 4H45. Interview téléphonique du chef deux étoiles Olivier Nasti qui a fermé son ensemble de luxe. Il en profite pour réaliser des recettes de CAP. Mon patron prend des nouvelles.
Ce soir, Edouard Philippe va annoncer que le confinement durera quelques semaines.
Quand « beaucoup de nos concitoyens aimeraient retrouver le temps d'avant ».

18 mars 2020

LA DERNIÈRE PAGE DE BERNARD FISCHBACH



Bernard à La Brigantine en 2005


Quand tu venais me rendre visite à la radio, tu connaissais le chemin, passant le filtre de l'accueil. Un pas décidé, la poignée de main ferme, un sourire complice. Bernard Fischbach. Je ne t'avais pas revu ces dernières années, toi qui étais entré régulièrement dans ma vie journalistique. 

Mulhouse est mon territoire professionnel depuis la fin des années 1980. C'est à ce moment-là que nous avions fait connaissance. Toi le grand reporter des DNA, moi le débutant promu à Radio Star. Dès lors, je t'ai toujours connu ainsi. Un air de Jacques Lanzmann comme toi écrivain, les cheveux gris un brin rebelles et cette moustache de gaulois. Surtout cet œil vif, clair, inquisiteur et malicieux à la fois. Et l'indispensable foulard noué autour du cou. Je ne t'ai pas connu avec la cravate. Ça n'aurait pas collé. La ponctualité était ton obsession. Toujours rivé sur ta montre, tu ne supportais pas d'attendre. La patience est pourtant nécessaire dans notre métier. Tu étais pressé. Bien plus tard, dans ta retraite de localier, tu fonçais toujours comme si le monde devait s'arrêter demain. Quand tu surgissais à la rédaction, tu ouvrais ta serviette pour en sortir ton dernier livre souvent dédicacé par avance. Si les gens ont oublié B.F., les libraires et les lecteurs d'alsatiques se souviennent de Bernard Fischbach.

Je peux confesser ici que tu es l'auteur que j'ai le plus lu. C'est que tu étais prolifique. Sitôt un livre publié, sitôt un autre en route. Passionné d'Histoire et d'histoires criminelles, tu auras apporté de précieux éclairages sur des faits et des hommes qui nous sont liés. Avec Oradour, l'extermination tu as expliqué cette terrible page qui des décennies durant a terni les relations entre l'Alsace et le Limousin. Tu as évoqué encore le RAD, malgré eux, dont les livres d'histoire ne parlent pas. Avec Les révoltés d'Ottendorf, c'était le roman historique illustré par un autre Bernard, Latuner. Mulhouse t'a inspiré. Tu nous as ouvert à Mulhouse d'antan, Au temps du tram et du trolley à Mulhouse (avec Jacques Kirchmeyer), Mulhouse d'hier à aujourd'hui (avec Micheline Lang-Reitz)...Avec Waldteufel, autre musique. Un beau livre – CD dédié au Strauss français, de Strasbourg.

Je t'aurais imaginé inspecteur de police. Tu as baigné dans le polar. Banc public, Merlin l'exécuteur, Monsieur Crime Parfait, Jetza...Je dévorais tes intrigues bien ficelées dans lesquelles tu convoquais les animaux. Tu as parfois écrit à quatre mains, mais je m'étais habitué à ta plume et à tes personnages féminins. Tu as collaboré avec plusieurs maisons, dont Le Bastberg, qui t'avais confié la collection des Polars régionaux. Avec Le passe-muraille du Mont Ste-Odile, tu perçais cette incroyable et médiatique affaire de vols de livres précieux au sanctuaire.

J'ai eu le plaisir de t'accueillir à ma table. Je me souviens d'un déjeuner animé au cours duquel je t'avais proposé la compagnie de vieilles amies qui t'avaient irrité en se souvenant du maréchal Pétain. J'ai eu le bonheur de partager un dîner chez toi, où contre toute attente je retrouvais un officier de ma préparation militaire...
En fermant le bouquin, tu es allé rejoindre ton vieux collègue Daniel Walther parti deux ans avant toi. Quand je passe à Brunstatt, je lorgne souvent sur la colline où tu avais élu domicile. Quand j'y repasserai, je le ferai derechef, un de tes mots – signatures.
Adieu Bernard.



Bernard Fischbach s'est éteint le 17 mars 2020 à 81 ans.